(Du 28 janvier au 28 février 2004)

         

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1             Journal de bord habituel 

Traversée de la mer caraïbe d'un calme tout relatif, de la Martinique à Panama, puisqu'elle s'anime d'une forte houle digne du golfe de Gascogne. Les creux de sept à huit mètres et ses quarante noeuds de vent nous ont bien secoués. La douche attendue du lendemain se fait à l'aide des sceaux d'eau de mer autant pour le savonnage que le rinçage assis sur le pont avant du bateau. Le dernier rinçage lui est à l'eau douce mais dosé à une bouteille de un litre et demi. Je me sèche àoilpé en me tenant à l'étai avant et j'effectue la danse involontaire, obligatoire mais joyeusement consentie du roulis.

Je sèche en regardant ce soleil de fin d'après-midi et la mer. Je sèche plus vite que ma contemplation ne tarie. Et les poissons volants ne cessent de voler, et cela depuis les Canaries. Ils filent devant l'étrave du bateau et on les aperçoit se faufiler entre les vagues et partir au loin, à moins qu'ils ne s'en cognent une en plein face. On en retrouve régulièrement sur le pont, secs, même après quelques minutes. Je n'ai jamais réussi à en rejeter de leur vivant. La douche malgré une eau à 28° rafraîchit la peau et les pensées.

2             Lettres Imaginaires et scènes ordinaires 

Mes Chers Amis, je pense à vous. Penser à vous au milieu de toute cette eau baignée de soleil me ravie. Je suis à nouveau reparti sur la mer après une transatlantique encore toute fraîche, et le temps de quelques escales aux Grenadines et en Martinique.

Le temps reprend sa place. Le soleil est la grande et petite aiguille sur le cadran de l'horizon. Un demi-cercle au dessus, un demi-cercle au dessous. Dessus du bleu et des nuages, au dessous du bleu avec quelques moutons. Plus de vague à l'âme que de l'azur aux lèvres. On sait que l'on arrivera dans environ sept à dix jours à l'archipel des San-Blas.

Bien sûr les plages et les îles seront magnifiques, mais là aussi, là encore ce seront leurs habitants qui en seront les sourires. Des indiens quasi indemnes, que l'on entourera de tout notre respect et admiration. Les indiens Kunas ont su résister à l'électricité et à l'inévitable télévision qui précipiterait leur culture dans l'anéantissement en générant des désirs qui n'ont jamais été les leurs auparavant. 

J'envisage maintenant un tour du monde. Naviguer sur mon bateau et découvrir notre planète en même temps que la joie qui frémit. Tout ce que je vois n'est que beauté et bonheur. Et quand il m'arrive de l'oublier, je regarde à nouveau, sans ego. ça devient en fait un petit exercice de gymnastique mentale qui me permet d'accéder rapidement au pétillement des bulles de bliss.

Voir la beauté, oublier l'ego et ses limites. Se nourrir de tout et rire à l'ivresse du champagne cosmique. Envie de partager cela aux amis qui sont présent à ma mémoire et dont j'entends l'éclat des voix.

3             Accueil chaleureux aux San-Blas 

Les îles sont en vues dès ce matin comme prévu. Sensation de découverte et soulagement magique après seulement huit jours de solitude entre ciel et mer. Une brume les entoure mais on distingue les petites touffes de cocotiers.

Et une troupe de dauphins de un mètre viennent vers nous sautant tout autour du bateau apportant une gaîté inévitable. Ils repartent comme d'habitude avant que l'on ait pu dégainer la moindre photo. On double le cota de bonheur quand cette fois-ci d'autres dauphins plus grands nous entourent et nous font la joie de leurs jeux avec leurs petits. J'ai l'impression de les charmer avec mon petit air gai improvisé que je leur siffle à l'avant du bateau. Cette fois je les capture pacifiquement sur les plaques sensibles de l'appareil photo.

A peine après avoir mouillé l'ancre vers neuf heures, des pirogues pleines de femmes Kuna nous proposent leurs molas traditionnelles multicolores. Ce sont de vrais tableaux composés de plusieurs couleurs et leur demandent jusqu'à soixante heures de travail, ce sont aussi la marque et le symbole de leur identité indienne intacte, j'en raffole.

Visite ensuite forcément brève de l’île principale (Porvenir) qui ne comprend dans sa grande longueur qu’une piste d’avion d’un bout à l’autre et un poste de douane (ce qui lui donne son caractère d'île majeure).

Spectacle de pélicans qui tels des Messerschmitts piquent dans l’eau les ailes repliés en W. J’en approche un à dix mètres durant son déjeuner aquatique malgré mon look de croco à périscope avec le masque et le tuba.

Ce midi c’est resto, les pieds de la table et de leurs clients dans le sable au bord de l’eau.

Les îles San-Blas sont en grandes majorités de très petites îles où vivent une ou plusieurs familles. L'eau est obtenue en creusant un trou au centre de l'île. Magie de la nature, c'est de l'eau douce, le sel est filtré par la terre. Il y a également des îles sans habitation pour la récolte des cocos. En les voyant, on ne peut s'empêcher de penser que ce seront eux les premières victimes du réchauffement et de la montée des eaux. Le point culminant de ces îles dépend de la taille du seau et de la pelle de l'enfant qui joue : trente centimètres plus ou moins cinq.

4             Chanceller 

Je regarde en arrière, cette traversée de l'Atlantique, la première pour nous quatre, sur ce « Chance » de trente sept pieds. L'aventure Chanceller ressemble à une lettre à la poste, un éclat de rire, ou à la crampe du réveil matin.

Rodgers était notre vedette et acteur principal, le "Richard Geere" du navire, amiral de cette flotte sur une coque. Rodgers a toujours le coeur plein de fleurs, la tête dans les nuages et les mains dans le moteur.

Nicole sa compagne, est championne toute catégorie de mots croisés dans toutes les positions. Elle s'est montrée capable de "cruciverber" dans toutes les positions du Kama-Sutra et par tous les temps, l'Atlantique devait s'essouffler à essayer de la décramponner.

Notre bon Jo Le Terrible, grand conteur devant l'éternel, d'histoires hallucinantes et invraisemblables de la vie ordinaire. Et son cri comme celui de Peter Pan : « Pace & Salute ... et que le cul leur pèle jusqu'à la septième génération ! » (Avis aux amateurs).

5             Rio Mandinga  

Le Rio Mandinga a la particularité de remonter assez loin jusqu'à un des sept (rares) villages terrestres des Indiens Kunas. Les Kunas étaient d'abord sur le continent, ils ont été contraint de s'expatrier sur les îles en face à cause de la malaria qui sévissait. Nous l'avons remonté à huit personnes sur deux dinghy. Il s'est parfois agit d'une véritable ascension là où les pirogues avançaient tout simplement. On a mis sept heures pour arriver au village.

Le village est superbe et j'aurais bien eu envi de rester et continuer davantage. Les indiens disent que Panama n'est plus qu'à une journée de marche à partir de là.

Le mieux est donc de prendre une pirogue, et de continuer ensuite à pied d'un village à l'autre.

6             Scène insolite habituelle au pays de Kunas 

Je nettoie le dinghy après notre "raid" dans le Rio Mandinga. Et un indien Kuna dans sa pirogue vient à coté. Je le remarque à peine trop affairé à essuyer les grains de sables du fond. Nuedi*, il me propose calmement de sa douce voix souriante les crabes et langoustes du jour. Je lui retourne son sourire hospitalier, lui dit en continuant ma tache que ce ne sera pas pour aujourd'hui, mais pour demain. Il a un petit enfant à l'autre extrémité de sa pirogue et me dit "panemalo" à demain. Demain ce sera donc crabes ... Nuedi.

*Nuedi est un mot-chance il signifie bonjour ou au revoir, et que la vie prenne soin de toi.

7             Nuit Noire 

Le dinghy glisse sur la surface calme et sereine de cette mer Caraïbe qui est comme un lac à l'abri de la barrière de corail. L'île pleine de cocotiers est à peine à cent mètres de nous ne la voyons pas. La nuit est noire de café, et chaque coup de rame dans l'eau réveille des myriades d'étincelles furtives. On ne voit qu'elles et les étoiles. Elles sont comme les galaxies, elles virevoltent et s'éteignent, juste un peu plus vite. Ce sont les planctons fluorescents bien connu des navigateurs durant leurs quart de nuit.

8             Nargana 

C’est un grand centre. Ce sont deux îles reliées par un pont avec une piste d’avion sur une troisième. Ils ont l’électricité et donc la télé, la radio. Les tenues traditionnelles des femmes ont quasiment disparues, une certaine mixité apparaît.

Il y a deux cabines téléphoniques sur « Corazon de Jesus » et trois sur l’autre île. Deux « secrétaires » genre ado attendent … Les appels, parce que ces cabines servent à toute la communauté. Lorsqu’il y a un appel, elles courent et appellent les personnes concernées sur l’île. Dire que tout le monde se connaît est un peu faible, tout le monde est au minimum cousin voire davantage. Il n’y a pas de téléphone privé, même pour le tribunal, et bien évidemment aucun internet avalable. Les cabines fonctionnent par pièces de cinq à vingt cinq centimes, pour les communications internationales le jeu consiste à enfiler les pièces à la vitesse du débit, pas facile.

La vue sur la mer est occupée par des petites cabanes au bout de petits pontons, ce sont donc les gens malades qui ont le privilège de la vue, charmante attention. Et le rivage en est bordé.

Le señior Paco est l'homme obligatoire sur l'île pour tous les voiliers. Il s'occupe du carburant, du gaz et de l'eau douce, il n'en est pas moins d'une grande gentillesse et honnêteté.

Son hôtel se compose de six chambres en tout dont deux à l’étage et une salle de bain. Pas de réception et la serrure de l’entrée est une ficelle qu’il faut nouer afin que le portail ait l’air fermé. Aucun vol dans cette communauté, ni malice. La confiance règne.

Malgré la chaleur de midi les jeunes jouent en maillot : basquet, football, handball, et les plus petits participent, une vie communautaire exemplaire.

9     Rio Diablo (balade d'amateur en foret tropicale)

Depuis le départ de La Rochelle je voulais goûter au bonheur de la foret tropicale. Retrouver peut-être la saveur de la découverte de ce paradis terrestre comme ceux de quatorze cent ? Je suis donc parti pour trois jours seul dans les Lomas, en remontant le Rio Diablo tout d'abord en pirogue (cayouco) puis le reste à pied en suivant le tuyau qu'ils nomment "aqueduc" et dont ils se servent pour amener l'eau au village sur l'île en face. C'est assez simple, je choisi de faire le trajet en trois jours, mais deux auraient suffi. Lorsque le chemin disparaît, il ne faut pas hésiter et passer la rivière, la suite est de l'autre coté. Il faudra franchir le gué environ une vingtaine de fois avant l'arrivée à la cascade. Il faut pou cela prévoir des chaussures amphibies.

Pour une raison que j'ignore les Indiens Kunas me regardent perplexe quand je leur dis que je vais me balader seul dans la Selva, peut-être à cause des caïmans ?

On m'a toujours enseigné que les serpents étaient sourds mais qu'ils étaient très sensibles aux vibrations terrestre. Lorsque j'en vois un juste sur mon chemin enroulé et endormi, je saisi l'occasion de vérifier cela et je frappe deux grands coups de chaussure de marche à moins d'un mètre : aucune réaction. Il m'a fallu lui toucher délicatement le flanc de mon bâton pour qu'il lève la tète, mais sans partir, juste pour me regarder. Politesse oblige je le laisse à sa sieste sans insister d'avantage, pure courtoisie. Respectons les coutumes locales.

Un passage difficile m'oblige à avancer accroché à des branches avec mon sac à d'eau (je porte toute mon eau, cinq litres). Une branche que je teste puis d'autres lâchent. Parmi une, mon intérêt se porte vers ce qui vient de bouger. Et comme le passage est obligatoirement très près du sol, je me sers du bâton. Je découvre alors un joli scorpion bien dodu de la taille de mon pouce pour ce qui est de son abdomen, peut-être une femelle. Je le détourne délicatement afin de ne pas craindre sa piqûre.

Je m'aperçois d'une plaie au genou que je nettoie dans l'eau de la rivière. La détersion soigneuse aura lieu à l'arrivée au campement au canif. Canif ça rime avec jouissif ?

Pour la suite je choisirai l'option "tout à l'eau" avec les petits poissons qui vous picorent les mollets. La balade est chaude et humide. Février est la saison sèche et le Rio est plutôt sympa et rafraîchissant.

L'arrivée est une petite cascade, le bain est merveilleux et la nuit délicieuse bercé par les divers bruits de la jungle, d'une grande variété. Tout cela est féerique, le lendemain je me baigne abondamment dans la cascade, c'est le jardin d'eden.

Le lendemain j'entends des singes mais n'en voit qu'un. La seconde nuit au retour, je dors près du Rio qui a rejoint un confluent. Et les bruits sont très différents et bien curieux parfois. J'entends même des sortes de rugissements au matin. Au fait, quel sorte de bruit peut bien faire un crocodile la nuit ?

10     Panama City

Le lendemain je prends un avion du type coucou. Les deux pales de son hélice m'emmènent après escale sur une autre piste perdue, à Panama ville. J'irai consulter mon oracle-internet, ses annonces. Et ses messages m'apprendront jusqu'où mon destin me pousse. N.B. : C'est la première fois que je me rends à un aéroport en pirogue.

 

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  A partir du 5 Mars 2004